Le financement pour le secteur de l’agriculture au Cameroun reste très marginal. Seulement 4% du budget est alloué au secteur agricole. Pourtant, tout comme la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, l’économie Camerounaise est en majorité agricole.

Le paradoxe entre l’importance stratégique du secteur agricole dans l’économie camerounaise et sa faible part dans le budget national peut s’expliquer par plusieurs facteurs interconnectés. Voici une analyse des principales raisons :

-La Dépendance aux financements externes pour l’agriculture

•           Le Financement par des partenaires internationaux : Une partie significative des investissements agricoles provient de bailleurs de fonds comme la Banque Mondiale, l’Union Européenne, et d’autres organismes internationaux. Cette dépendance réduit la pression sur l’État pour augmenter son propre financement du secteur.

•           Les Projets spécifiques : Les financements externes sont souvent alloués à des projets ciblés, comme le développement de filières spécifiques ou des programmes d’adaptation au changement climatique, laissant l’État investir dans d’autres secteurs.

–           La Priorisation des secteurs plus visibles

•           L’Infrastructure et industrie : Le gouvernement a tendance à investir dans des secteurs considérés comme moteurs de croissance rapide, tels que les infrastructures, l’énergie, ou les mines, souvent au détriment de l’agriculture. Ces secteurs offrent une visibilité politique et un retour sur investissement à court terme.

•           La Perception de l’agriculture comme secteur « traditionnel » : L’agriculture est parfois perçue comme un secteur à faible modernisation et à rendement incertain, ce qui peut limiter l’engagement financier direct de l’État.

–           La Fragmentation du secteur agricole

•           La Structure informelle : Une grande partie des exploitants agricoles camerounais sont de petits producteurs, souvent non formalisés et peu organisés. Cela complique l’identification de priorités claires et l’attribution de ressources financières importantes.

•           Le Manque de mécanismes de financement innovants : Les systèmes de financement adaptés aux besoins des petits agriculteurs (comme les crédits agricoles à faibles taux d’intérêt) sont encore peu développés, limitant leur inclusion dans les politiques budgétaires.

–           Les Contraintes institutionnelles et administratives

•           Le Manque de coordination : La multiplicité des acteurs intervenant dans le secteur (ministères, agences publiques, ONG) entraîne souvent un manque de coordination et une dispersion des ressources.

•           La Faiblesse des cadres de suivi et d’évaluation : L’absence d’un mécanisme rigoureux pour mesurer l’impact des investissements agricoles décourage une augmentation des allocations budgétaires, car les décideurs peinent à justifier les résultats obtenus.

On peut citer également une Faible mobilisation des ressources internes avec un Budget national limité, les Facteurs politiques et sociaux avec un lobbying insuffisant du secteur agricole contrairement à d’autres secteurs comme le pétrole ou les infrastructures, l’agriculture manque souvent de groupes de pression capables d’influencer les décisions budgétaires.

Globalement La faible part du budget national allouée à l’agriculture reflète un mélange de contraintes budgétaires, de choix politiques et d’obstacles structurels. Toutefois, en repositionnant l’agriculture comme un moteur essentiel de l’économie camerounaise et en adoptant des stratégies plus inclusives et innovantes, il est possible de mobiliser davantage de ressources pour ce secteur clé.

Sur le budget de 2025

Le budget de 107,17 milliards FCFA, défendu par le ministre Gabriel Mbaïrobe, avec des priorités claires telles que la sécurisation de 400 000 hectares de terres et la subvention de 85 000 tonnes d’engrais, est indéniablement une avancée significative dans le soutien à l’agriculture camerounaise. Cependant pour ma part son efficacité dépendra de plusieurs facteurs stratégiques et opérationnels :

Pour ce qui est de la sécurisation des terres agricoles, cela est un est un choix judicieux représentant néanmoins des défis majeurs puisque sécuriser 400 000 hectares peut améliorer la confiance des investisseurs et des producteurs agricoles. En effet cette opération peut favoriser les investissements à long terme dans des cultures pérennes ou à forte valeur ajoutée. Cependant, pour que cette mesure soit efficace, il est essentiel de clarifier les droits fonciers, de limiter les conflits d’usage, et d’assurer une transparence totale dans les processus d’attribution et de sécurisation.

L’impact attendu étant qu’avec des terres bien sécurisées, les producteurs puissent obtenir plus facilement des financements, notamment auprès des institutions de microfinance et des banques, en utilisant ces terres comme garanties.

En ce qui concerne la Subvention des engrais, il s’agit d’une mesure stratégique du moment ou subventionner avec 85 000 tonnes d’engrais est cruciale pour accroître les rendements agricoles. Notamment pour les petits exploitants, qui n’ont souvent pas les moyens d’investir dans des intrants de qualité. Cependant, il faut s’assurer que ces subventions atteignent effectivement les producteurs ciblés, et non des intermédiaires ou des acteurs non prioritaires.

A cet effet, je pense qu’il serait important est important d’accompagner cette subvention par des formations sur les bonnes pratiques agricoles pour maximiser l’utilisation des engrais, ainsi que par un suivi rigoureux des rendements obtenus.

En outre il est utile quand même de préciser que Subventionner les engrais est une mesure de soutien nécessaire à court terme, mais à long terme, il serait pertinent d’explorer des alternatives comme la promotion de fertilisants organiques produits localement, qui sont à la fois durables et économiquement viables. Il serait utile pour plus d’efficacité de se rassurer que :

–           Les partenariats public-privé pour mobiliser des ressources supplémentaires et optimiser les résultats sont encouragés.

–           Les systèmes de suivi et évaluation pour garantir que les objectifs fixés soient atteints et que les fonds alloués soient utilisés de manière optimale sont renforcés.

–           L’intégration des jeunes et des femmes dans les projets agricoles prioritaires, car ils représentent un levier important pour le développement rural est pris en compte

Le Gabon ne fait pas mieux

Le faible financement alloué au secteur agricole dans des pays comme le Gabon, en dépit des engagements pris dans le cadre des accords de Maputo, pour ma part peut s’expliquer par plusieurs facteurs structurels, économiques, politiques et institutionnels. On peut citer par exemple :

–           La Dépendance à une économie extractive avec une orientation vers les ressources minières et pétrolières ; en effet le Gabon, comme beaucoup de pays africains riches en ressources naturelles, dépend fortement des revenus issus du pétrole et du secteur minier. Ces secteurs ont historiquement bénéficié d’une priorité budgétaire en raison de leur rôle dominant dans l’économie et des recettes qu’ils génèrent à court terme.

Cette dépendance a un peu détourné l’attention des décideurs de l’agriculture, souvent perçue comme moins stratégique. Également l’agriculture, qui représente une part marginale du PIB gabonais, a été souvent reléguée au second plan par rapport aux secteurs à forte contribution économique immédiate.

–           La faiblesse de l’infrastructure agricole avec des Infrastructures de base inadéquates ou on note le manque de routes rurales, de systèmes d’irrigation, de chaînes de froid et de structures de stockage ce qui dissuade les investissements publics dans l’agriculture. Cela limite également l’impact potentiel de tout financement dans ce secteur.

D’autres raisons comme la Priorisation d’autres urgences économiques et sociales, ainsi que la Faiblesse de l’infrastructure agricole peuvent également expliquer ce constat. Il s’avère donc que le faible respect des accords de Maputo au Gabon s’explique par une combinaison de facteurs économiques, politiques et institutionnels.

Cependant, en repositionnant l’agriculture comme un pilier stratégique de la diversification économique et en adoptant une approche plus intégrée et ciblée, il est possible de mobiliser davantage de ressources pour ce secteur essentiel.

Hervé Blaise FEUNKE, expert Financier certifié en Finance Agricole et Rurale. Directeur Général Adjoint du Fonds Camerounais d’Epargne pour le Progrès.

La Rédaction

Afrik-Green-Eco est une plateforme d’informations agropastorales avec pour objectif d’informer et d’orienter efficacement des acteurs des filières agricoles et élevages dans leurs choix d’investissements.

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