Par Louis-Marie Kakdeu

Au Cameroun, l’on parle de Renouveau en référence au régime du Président Paul Biya qui a commencé le 6 novembre 1982. A sa prise de pouvoir dans un contexte autoritaire, le Renouveau a suscité beaucoup d’espoir au sein de l’opinion nationale et a reçu beaucoup de bénédictions pour mener le pays à bon port.

42 ans plus tard, alors que Paul Biya est toujours au pouvoir, l’heure est au bilan à la fois sur les plans diachronique (rapport entre avant et après), transversal (rapport entre Ici et ailleurs) et normatif (rapport entre ce qui est fait et ce qui devrait être fait). Un regard rétrospectif nous permet de voir qu’il y avait des piliers de ce système qui sont aujourd’hui dévoyés par des promesses restées fallacieuses. Voici un aperçu :

1- Le Renouveau avait promis la rigueur et la moralisation. C’était le pilier du système qui connotait la rupture et suscitait beaucoup d’espoir. Avoir de la rigueur suppose être inflexible et appliquer la dureté de la règle. Force est de constater qu’en 2024, les Camerounais parle de l’époque Ahidjo avec beaucoup de nostalgie.

Le Renouveau est un régime de laisser-aller et de laisser-faire. Pire, l’on estime que près de 80% des règles de droit ne sont pas appliquées avec rigueur. La Constitution n’est pas appliquée avec rigueur. L’application de la justice est à tête chercheuse, ce qui fait dire aux Camerounais que l’action publique « a l’œil [pour discerner] ».

Quant à la moralisation, elle est une action d’élévation du citoyen dans l’ordre de la morale c’est-à-dire dans l’ordre des valeurs conformes aux mœurs et règles de notre société. Force est de constater qu’il y a plutôt eu dépravation des mœurs et dégradation de la morale publique qu’il y avait à l’époque d’Ahidjo.

Depuis 1998, le Cameroun est parmi les champions du monde de la corruption. Nous sommes dans une société où il y a inversion des valeurs : la norme est devenue anormale. Les citoyens qui cherchent à être en règle sont risibles. Au Cameroun aujourd’hui, celui qui ne « broute pas là où il est attaché » est considéré comme étant « bête ».

2- Le Renouveau avait promis la paix et la stabilité. La paix renvoie tout simplement à l’absence de conflits sociaux. La stabilité renvoie à une situation d’équilibre social. En 2024, force est de constater que 6 régions sur 10 sont en situation d’insécurité permanente (Nord-Ouest, Sud-Ouest, Extrême-Nord, Nord, Adamaoua, Est).

Les tensions sociales sont multiples et perceptibles, ce qui fait craindre l’imminence d’un pogrom. Chaque année, la vie est encore plus dure que par le passé, plongeant les citoyens dans l’incertitude. Le régime a actualisé la langue de bois et parle maintenant de « résilience » en référence à la capacité des citoyens à supporter la souffrance.

En réalité, il s’agit d’un état de résignation qui s’exprime à travers l’expression populaire : « on va faire comment ? ». Dans les faits, le citoyen se sent persécuté et l’indicateur de la vie inconfortable au Cameroun est l’extension à une vitesse exponentielle du flux migratoire vers l’étranger. Les chiffres donnent des vertiges. Plus de 6 millions de Camerounais ont fui le pays, soit ¼ de la population.

3- Le Renouveau avait promis que le Cameroun ne sera la chasse gardée de personne. Il s’agissait au cours de ces années 1987 d’affirmer le choix souverainiste qui traverse l’Afrique subsaharienne depuis 2020. On aurait pu dire que le Renouveau était en avance. Mais, force est de constater que l’autonomisation du Cameroun n’a pas eu lieu. On observe que le pays est parti d’un seul maître (la France) à plusieurs maîtres.

C’est plutôt une logique d’infidélité. En 2024, l’économie camerounaise est plus que jamais extravertie. Le pays est aujourd’hui un comptoir commercial qui fonctionne comme une prostituée qui n’a pas de goût et qui reçoit n’importe quel client. Or, le souverainisme suppose que les politiques publiques soient tournées vers le citoyen qui en est le principal bénéficiaire.

Le Renouveau n’a pas effacé les symboles de la colonisation (FCFA, coopération militaire, aide au développement, dettes, etc.). Pire, le Renouveau a surendetté le pays, le rendant à jamais dépendant des institutions financières. En 2024, le pays avait plus de FCFA 13500 milliards de dette. Or, l’on devait pouvoir scander : « Cameroon first ! » comme dans tout pays normal du monde. Aux Etats-Unis d’Amérique, on entend : « American first ! ».

4- Le Renouveau avait promis de ne pas aller au FMI. En clair, il s’agissait du rejet de l’économie libérale qui suppose la priorité au capital et aux patrons. Pour ce faire, l’homme du Renouveau demandait de « retrousser les manches » pour produire localement et tenir tête aux pressions internationales.

Force est de constater qu’à ce jour, le Renouveau est déjà allé 6 fois au FMI et que le pays est toujours sous ajustement à cause de son incapacité à tenir la discipline budgétaire et à poursuivre les objectifs de performance. Le FMI dicte la suppression des subventions et des dépenses sociales, faisant du régime du Renouveau un monstre froid qui broie ses citoyens.

5- Le Renouveau avait promis la prospérité. Il fallait retenir du régime qu’il avait apporté la prospérité. En 2024, c’est une désillusion totale. Le régime est arrivé lorsqu’il y avait autosuffisance alimentaire et lorsque le taux de croissance était à deux chiffres. C’est un souvenir lointain. Par une loi portant orientation de l’économie nationale en 1989, le Renouveau avait choisi l’option libérale alors que l’économie du pays n’était qu’embryonnaire.

Le régime a engagé le pays dans la libre compétition alors que le pays n’était pas préparé à la compétition. Par conséquent, le tissu économique local a été entièrement détruit par la concurrence déloyale (inégalité des chances et de traitement sur le marché). Si nous prenons un secteur de référence comme celui de l’aviculture, on notera que 92,5% des producteurs locaux qui existaient en 1993 avait abandonné le secteur en 2003.

A ce jour, en dehors du secteur du fer à béton, il est difficile de trouver un autre secteur excédentaire au Cameroun. En d’autres termes, tous les secteurs sont déficitaires et près de 50% des entreprises qui demeurent encore dans le portefeuille de l’Etat sont sous perfusion. En 1987, il y en avait 188. En 2024, il n’y en avait plus que 36 auxquelles il faut ajouter des entreprises créées entre temps.

Le Renouveau avait pris l’option des privatisations contre-nature qui se sont révélées être de vraies opérations de pillage à tel point que dans l’actualité, le même Renouveau est dans l’optique de la renationalisation (SNEC ou Camwater, SONEL ou ENEO, etc.). De nos jours, le pays est dans la dépendance directe et indirecte en référence à son incapacité à combler la demande de sa population à partir des produits locaux.

6- Le Renouveau avait promis l’émergence en 2035. 10 ans avant cette échéance, tous les économistes du pays sont d’accord pour dire que cette promesse ne peut plus être tenue. Au rythme actuel, les plus optimistes comme Babissakana parle de 2050 s’il y a, je cite, changement de leadership.

Certains veulent s’arrimer à l’Agenda 2063 de l’Union Africaine. Cela fait suite à l’incapacité du Renouveau à transformer les ressources limitées du pays en biens et services illimités. Le régime explique que de multiples chocs externes et internes ont été à l’origine de la banqueroute comme s’il existera un jour au monde où il n’y aura pas de choc. Il faut simplement dire que l’option libérale adopter en 1989 était mauvaise.

Sous le régime Ahidjo, la planification et la programmation étaient au cœur de l’action publique. L’on parlait des plans quinquennaux qui étaient régulièrement évalués. Or, la planification, la programmation et l’évaluation des politiques sont le ventre mou du Renouveau. On avance seulement en fonction de la météo électorale.

On fait des promesses qui peuvent être nationalistes ou électoralistes en fonction des besoins de conservation de pouvoir. Le Renouveau est donc expert en matière de conservation de pouvoir et nul en matière de développement.

7- Le Renouveau avait promis la démocratie. L’autre souhait du Renouveau était que l’on se souvienne qu’il a aussi apporté la démocratie. La démocratie suppose la participation de toutes les composantes sociales aux mécanismes de prise de décision. La participation à son tour suppose la consultation et la concertation.

Force est de constater que le Renouveau a déconstruit les accords politiques de Foumban, la tripartite, le Grand Dialogue National, etc. Les hommes du Renouveau s’appellent dans l’imaginaire politique « Maradona » en référence à leur forte capacité à dribler les adversaires politiques ou mieux, à duper l’opinion. Par exemple, la tripartite a consacré la limitation du mandat du Président de la République.

C’est aujourd’hui un triste souvenir puisque le Renouveau n’a rien respecté. Le dialogue social est rompu et 3 régions sur 10 sont en guerre en 2024. La démocratie suppose aussi la représentation de toutes les couches sociales dans les instances de prises de décision. En 42 ans, on constate que le Renouveau a mis sur pied un système de règne sans partage qui exacerbe les tensions sociales.

Par exemple, le sport favori des Camerounais en 2024, c’est de scruter l’origine ethnique de toutes les personnes promues ou déclarées admises à un concours, ce qui est un indicateur de redistribution inéquitable. La démocratie suppose surtout le respect des règles de droit et le respect des libertés fondamentales. En 2024, l’administration publique donne formellement l’ordre de tuer, neutraliser, déporter, broyer dans le moulinex, sans conséquence.

La sodomie, la torture, l’humiliation et la soumission sont devenues le mécanisme de contrôle de la liberté d’expression comme a pu révéler l’affaire Zogo et bien d’autres. Le Cameroun est devenu ce que la littérature appelle « security state [Etat de sécurité] » en lieu et place de l’Etat de droit dont on se serait attendu. Il s’agit d’un Etat dominé plutôt par les réflexes de sécurité. La démocratie suppose la transparence. La transparence est le droit à l’information. En 2024, le pays est dirigé dans l’opacité totale. Il est même désormais interdit de s’interroger sur la santé du Président de la République. Les scandales financiers s’accumulent sans conséquence (Covidgate, Glencoregate, CANgate, etc.).

Il est impossible par exemple de dire quel est le calendrier électoral. On sait seulement que c’est « sûr mais, lointain ». Le pays est dirigé par la rumeur, les hautes instructions et les silences présidentiels. C’est la loi de l’omerta. Et c’est tout sauf la démocratie.

8- Le Renouveau avait promis la lutte contre la pauvreté. En 2024, selon l’INS, plus de 10 millions de camerounais vivent encore sous le seuil de la pauvreté (1/3 de la population) et près de 3 millions sont en situation d’urgence humanitaire. Plus de 15 millions de Camerounais n’ont pas d’acte de naissance et de carte nationale d’identité, ce qui réduit leur citoyenneté.

Près de 90% de Camerounais n’ont pas de titre de propriété, ce qui limite leur inclusion financière. La pauvreté est l’exclusion du système financier. Les banques camerounaises sont en surliquidité mais, les Camerounais n’ont pas d’argent. Le gouvernement du Renouveau a choisi de surtaxer l’accès à la propriété privée. En 2024, l’on n’a à jour ni code de nationalité, ni code foncier, ni code de la famille, ni code du travail, ni code de l’investissement, etc.

En clair, les fondements de l’Etat sont inexistants. C’est un choix politique suicidaire. Cela fait dire que le Renouveau est un régime criminel. Dans l’imaginaire populaire au Cameroun, l’on dit que le Renouveau est un régime sorcier qui mange ses propres enfants. C’est révélateur d’un malaise profond qui traverse le pays.

9- Le Renouveau avait promis la modernisation de l’administration publique. Au Cameroun, seul le passeport se fait en 24 heures avec une qualité de service fort appréciable. L’on se demande comment est-ce que le commissaire de police qui gère ce service peut être aussi bête dans un contexte où tout le monde broute là où il est attaché.

Il faut s’attendre à ce qu’on le vire pour nommer un vrai fonctionnaire du Renouveau qui vous demande à distance si il/elle mange votre bonjour. Un vrai fonctionnaire du Renouveau ne rate pas les messes et ne saute pas les prières. Il/elle construit même les églises et autres mosquées mais, il ou elle ne connaît pas la pitié.

Il ou elle ne connaît tout simplement pas Dieu. Car, l’administration publique est devenue le marché où tout a un prix. Le clientélisme et la corruption sont devenus le principe de l’ascension sociale. C’est à prendre ou à laisser.

10- Le Renouveau avait promis de travailler avec les partenaires sociaux (patrons, associations, syndicats). Par exemple, la loi sur les syndicats avait été promise dans la vague de la libéralisation en 1990 en même temps que la loi sur les partis politiques et sur la communication.

En 2024, on attend toujours. Le Renouveau ne veut pas les revendications, ce qui est un mépris pour les partenaires sociaux. La Constitution a consacré le Conseil économique et social pour jouer ce rôle. Or, depuis que je suis né, le Conseil économique et social n’a jamais siégé pourtant, il consomme un budget d’environ FCFA 3-5 milliards chaque année.

C’est la plus grande arnaque du Renouveau qui préfère traiter de façon cloisonnée avec chaque partenaire social. Jamais de concertation. Par conséquent, les politiques publiques ne sont ni pertinentes ni efficaces parce qu’en constant décalage avec les besoins des populations.

En définitive, la littérature a retenu les méthodes du Renouveau comme étant « l’actualisation de la langue de bois ». Je ne veux pas citer le nom de l’auteur pour ne pas l’embarrasser dans la mesure où, bien qu’il soit un éminent scientifique, il est malheureusement le grand communiquant du Renouveau.

L’on retiendra que le Renouveau se résume en ces mots : « Je vous verrai. » C’est finalement sous cette promesse que les citoyens vivent, espérant un lendemain meilleur qui ne vient toujours pas depuis 42 ans. Au contraire, les choses s’empirent du jour au lendemain, faisant craindre le pire à beaucoup.

Dieu sauve le Cameroun sous le Renouveau !

Louis-Marie Kakdeu, MPA, PhD & HDR

Deuxième Vice-Président National du SDF.

La Rédaction

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