Par Louis-Marie Kakdeu

La littérature parle de la « criminalisation de l’Etat » en référence à la situation d’un « Etat malfaiteur » (Jean François Bayart) et d’un « Etat falsificateur » (Béatrice Hibou) où le « capital social » est le crime et le faux. En clair, c’est la situation d’un Etat où les tenants du pouvoir utilisent le faux et le crime (politique, social, culturel ou économique) comme mécanisme de gouvernement. Bayart, Ellis et Hibou (1997) parlent d’un Etat où l’on atteste les fraudes et trafics en grandeur nature, l’exploitation sauvage des ressources naturelles, le pillage de l’économie, la privatisation des institutions publiques, la multiplication des milices armées, l’extension de la guerre, etc. Où en est-on au Cameroun ? Je m’en vais relever juste quelques faits d’actualité.

Sur le plan politico-administratif, l’autorité publique prend de plus en plus des actes formels pour demander de tuer, neutraliser, écraser ou déporter un individu. C’est tout sauf le sens de la République. L’on a le cas d’un sous-préfet qui a demandé sans conséquence à ce jour « d’abattre » un individu en pleine République au nom du maintien de l’ordre.

C’est aussi le cas du préfet du Mfoundi qui a même menacé toujours sans conséquence de déchéance de résidence ou de déportation des opposants hors de la capitale Yaoundé, pourtant censée être une capitale POLITIQUE. Dans l’actualité quotidienne, les autorités publiques s’attaquent à la fortune publique, détournent la propriété privée, s’immiscent dans la gestion des associations et partis politiques, s’approprient les biens publics, dilapident les caisses de l’Etat, etc., sans conséquence.

On se rappelle que devant la Représentation nationale, le ministre des finances qui était appelé à dire quels étaient les critères pour bénéficier des chapitres 94 et 65, avait répondu : « Demandez, on vous donnera ; frappez, on vous ouvrira ! ». Devant les députés ! Et aucune motion n’avait été initiée contre lui ! Dans l’indifférence totale, il exprimait ainsi la situation d’un pays où l’achat des consciences et l’impunité étaient érigés en règle.

Sur le plan sécuritaire, la banalisation du crime corporel était récurrente. L’affaire Martinez Zogo est venue mettre à nu la situation d’un pays souillée où les forces de l’ordre supposées lutter contre le crime sont utilisées plutôt pour commettre des crimes. L’on a découvert au grand jour la situation d’un pays où la torture, la sodomie, la soumission forcée, l’humiliation, etc., sont au cœur des pratiques du pouvoir.

Ce seul cas a mis à nu les mécanismes de financement du mal par les institutions de l’Etat. Cela avait délié les langues et de multiples vidéos fusent sur les réseaux sociaux comme celle de l’artiste Longue Longue qui montrent comment l’on obtient par force le mutisme de l’opinion publique.

Pire, l’État fait la guerre à ses propres citoyens radicalisés. En 2024, 6 régions sur 10 sont en situation d’insécurité préoccupante et 3 régions sont en situation de guerre. Si vous regardez bien la situation de ces régions, vous comprendrez que la promotion de l’économie de guerre par les tenants du pouvoir de l’Etat est la seule raison qui explique la poursuite des affrontements sur le terrain.

L’Etat du Cameroun est devenu un malfaiteur : ce sont ceux qui sont censés vous protéger qui représentent une menace pour votre vie. Il émerge au sein du pays une multitude de milices privées ou d’agents de sécurité qui peuvent octroyer la sécurité personnelle, attaquer les adversaires politiques, suppléer les forces de l’ordre ou déstabiliser l’Etat.

Le Cameroun est devenu un pays dangereux. Et le danger est incarné par l’Etat lui-même. Le comble est qu’il n’y a en l’état aucune perspective positive à l’horizon. De jour comme de nuit, l’impunité évolue à une vitesse exponentielle et rare sont ceux des citoyens qui acceptent encore de jouer la carte collective.

Nous-autres, citoyens politiquement engagés, avons accepté de faire le pas. Mais, rendons-nous à l’évidence ! Le rapport des forces sera toujours en faveur des forces du mal si une plus grande mobilisation des camerounais, où qu’ils soient, n’est pas attestée pour renverser la vapeur.

C’est maintenant ou jamais !

Louis-Marie Kakdeu, MPA, PhD & HDR

Deuxième Vice-Président National SDF.

La Rédaction

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