Le carburant tient tout : De la crise à la crise. Petites leçons de gouvernance

Douala et Yaoundé offrent depuis quelques jours, le spectacle ostentatoire de files de voitures, de motos et de citoyens dans les station-services à la recherche de l’essence Super.

Ce liquide fabriqué à partir du pétrole brut par des procédés chimiques de chauffage, de fraction de distillation et de raffinage sert à faire fonctionner un bon nombre d’engins mécaniques donc les voitures et les motos. On donc aisément les longues files d’attente.

Maintenant qu’il devient difficile de s’en procurer les conséquences sur le quotidien des camerounais se font déjà sentir. Mais de quoi s’agit-il en réalité et à doit-on s’attendre. La crise de l’absence du pétrole invite à penser aux crises sociales pour s’éviter des crises politiques.

1- Le carburant : crise du déplacement

Le carburant permet d’alimenter le moteur d’un véhicule en énergie afin de lui permettre de fonctionner. Pour se déplacer il faut donc du carburant, beaucoup de carburant d’où le passage régulier à la station-service pour s’en procurer. Un usager qui perd du temps à la station-service perd du temps pour son déplacement. De plus quand il s’agit d’un chauffeur de taxi ou de moto assurant le transport public, beaucoup de citoyens perdent dans la mesure où leurs déplacements en dependent.

D’un point à l’autre des villes de Douala et Yaoundé par exemple, le déplacement est devenu difficile. Si les embouteillages se sont déplacés des routes aux station-services, cela en rajoute au problème de déplacement.

Dans les villages, il est difficile de se déplacer pour venir en ville afin de faire écouler les produits alimentaires, denrées périssables qui doivent être vendues rapidement.

2- la crise du carburant : surenchère et survie

Les crises sont des espaces propices de survie. Dans cet imaginaire, les camerounais sont passés maîtres.

Ainsi et de manière spectaculaire, l’on observe un surenchérissement sur le coût du transport public. Bendskinneurs et taximen s’en donnent à cœur joie. Ce phénomène est compréhensible à partir du moment où la personne pense récupérer sur le temps perdu à se ravitailler à la pompe et appréhende le projet tour à la station-service.

Et c’est ici que se découvre un autre imaginaire, la collecte et la vente des bidons. En réalité, le commerce de l’essence dans les bidons est très reglémenté. Liquide inflammable, il peut rapidement causer des incendies avec des dégâts matériels et humains très graves.

Dans la crise actuelle du carburant, personne ne s’en soucie. Il faut du carburant à tout prix et à tous les prix. Les conditions de son transport importent peu.

De plus, il existe depuis quelques jours des groupes de ravitaillement. Messages postés sur les réseaux sociaux pour signifier les station-services ayant été ravitaillés, coups de téléphone à des connaissances pour leur indiquer la station-service disposant de carburant et sans file d’attente, tout y passe dans cette surenchère.

3- crise du carburant : crise du pétrole ?

Le paradoxe dans cette crise du carburant se trouve dans le fait que le Cameroun est un pays producteur de pétrole. Certes pas un géant, mais un producteur tout de même.

D’ailleurs à travers la SNH (Société Nationale des Hydrocarbures), la vente de ce pétrole a permis à l’Etat d’augmenter ses recettes budgétaires. Même s’il fut un temps où cette vente était classée hors budget. Il ne fallait surtout pas y regarder de près.

Plus encore le Cameroun dispose d’une entreprise de raffinage : la SONARA. Le paradoxe voudrait ici que cette société, au commencement n’a pas été avec des normes lui permettant de raffiner le pétrole produit au Cameroun. D’après les experts, le pétrole brut et l’on devrait dire les pétroles (au pluriel) n’ont pas la même teneur en métaux. Celui extrait du sous-sol camerounais est plus lourd.

Le processus de recallibrage de l’entreprise a été pensé avec les russes de GAZPROM. Sauf que un pan de l’entreprise est partie en fumée de manière inexplicable.  Le samedi 1er juin, l’incendie qui a endommagé, quatre unités de la Sonara faisait dès peser une lourde menace sur le secteur pétrolier. Le Cameroun se retrouve à importer des produits d’hydrocarbures pour son marché. Et d’ailleurs les prix à la pompe sont passés à la hausse.

4- crise du pétrole : et le train de vie de l’Etat ?

L’image qu’offre à toute personne marchant dans les rues de Yaoundé est le passage régulier de véhicules immatriculés CA (Corps Administratif). Il s’agit de véhicules appartenant à l’Etat. Et encore certains véhicules banalisés (immatriculation courante) sont des véhicules administratifs. De plus, il faut ajouter les milliers de véhicules avec les immatriculations particulières des Forces de Défense et de Sécurité.

Dans l’administration publique camerounaise, la quasi-totalité des hauts cadres ayant une fonction administrative dispose d’un véhicule de fonction. Et pour les autres, même sans véhicules de fonction, il y a des bons de carburant, et même véhicule de fonction et bons de carburant vont ensemble. Bref du carburant à consommer, et l’on s’achète son véhicule personnel. Si les soutes à carburant particulières des FDS sont ravitaillées pour les missions qui leur sont assignées, il reste la grande masse des fonctionnaires et agents de l’Etat.

Ce phénomène n’est pas l’apanage de la ville de Yaoundé. Il s’observe partout au Cameroun. Le train de vie de l’Etat a besoin de carburant et beaucoup de carburant pour fonctionner. L’on serait d’ailleurs tenter de penser que cette pénurie impacte plus sur ce train rutilant.

5- le carburant tient tout : repenser la gouvernance de crise.

Sortir de la crise actuelle pour s’éviter d’autres crises qui pourraient emporter le système, tel doit être les leçons à tirer de cette situation de crise.

a) les entreprises du secteur pétrolier devraient recruter des spécialistes de science politique d’analyse de risques géostratégiques. En effet, la problématique du pétrole n’est pas seulement dans le calcul du prix, des taxes et autres droits d’imposition. Elle est dans les enjeux géostratégiques et la marche du monde.

b) L’Etat doit réduire drastiquement son train de vie. Trop de véhicules avec des gabarits divers, c’est du carburant en trop et rien que pour les agents de l’Etat.

c) L’urgence est dans les transports publics. Bus, tramways sont ainsi l’occasion de repenser la circulation dans les grands centres urbains. Cela réduirait les embouteillages en limitant le nombre de véhicules en circulation. Tout le monde au Cameroun veut être propriétaire de son véhicule. Douala et son fameux Hôtel le Ndé en sont devenus une référence dans la prolifération des véhicules d’occasion, grands consommateurs de carburant.

d) Accélérer le processus de remise à niveau de la Sonara. Cela aura un double impact, d’une part la disponibilité régulière du carburant, et, d’autre part le bitume pour la construction des routes. Les routes et le carburant sont des maillons essentiels de l’économie.

Pour s’éviter de plonger une crise plus grave, les pouvoirs publics doivent apprendre de la pénurie de carburant. Les crises sont des moments de remise en question, de réajustement et de rééquilibrage. Maintenant tant les dignitaires du système pourront avoir leurs bons de carburants et leur carburant dans leurs grosses cylindrées climatisées, il y a lieu de penser déjà la prochaine crise. Et là, il ne sera plus seulement question de carburant.

Par Alphonse Bernard Amougou Mbarga, enseignant d’université.

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Jean Daniel Obama https://afrik-green-eco.com

Je suis Jean Daniel Obama, journaliste issu de la 16ème promotion de l’Institut Siantou Supérieur à Yaoundé. Passionné des questions agropastorales, j’ai décidé de me lancer et me spécialiser dans ce domaine où j’espère apporter l’information utile non seulement aux décideurs mais également aux entrepreneurs.

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